Un camp d’été tsigane et une rencontre avec Raymond Gurême

A Dourdan (91), les louveteaux et jeannettes Scouts et Guides de France forment une peuplade d’une trentaine d’enfants âgés de 8 à 11 ans. Pour le camp d’été 2011, à Villebon sur Yvette, ils ont choisi de partir à la rencontre des gens du voyage. Les activités organisées durant toute la semaine leur ont permis de découvrir leur histoire, leur
culture et leur mode de vie particulier. En somme, un imaginaire, des jeux, un concert de musique manouche, des rencontres et une exposition prêtée par le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les peuples) pour comprendre un peuple qui séduit et effraie : les tsiganes.

Ce projet de rencontre culturelle nous a amené à travailler avec l’Association Départementale des Gens du Voyage de l’Essonne (ADGVE).
L’association soutient les familles du voyage au travers de nombreuses actions qui visent à faire reconnaître leurs droits en terme d’habitat, de santé, de scolarité, mais également à les accompagner dans leurs démarches administratives et de création d’activité économique. Avec l’aide de Jésus Castillo, président de l’ADGVE et d’André Sauzer, tsigane et vice président de l’association, nous avons eu la chance d’entendre le témoignage incroyable de Raymond Gurême.

Raymond Gurême, toujours coiffé du fidèle
chapeau manouche a 86 ans. On lit dans ces yeux une extrême bonté et une grande expérience de la vie. Agé de 16 ans en 1940, il est arrêté avec toute sa famille par la police française. Après son arrestation, il est interné dans le camp de Linas-Monthléry en Essonne, comme des centaines d’autres gens du voyage. Evadé à plusieurs reprises, puis engagé dans la résistance il a soif de liberté. Ses paroles ne laissent pas d’ombre sur le passé mais sont avant tout remplies de paix. Il raconte, avec émotion encore, son adolescence tourmentée par la guerre, ses enfermements successifs dans les camps d’internement et de concentration, en France et en Allemagne. Récit de la vie dans le camp. Sous- alimentation, violence, humiliation. Les gens sont enfermés dans des barbelés. « Comme des vaches ? », demande un enfant. « Oui, comme des animaux », répond Raymond Gurême : un traitement dégradant, inhumain qui suscite l’indignation des enfants pendant la rencontre. Les enfants seront sensibles à ce bonhomme qui raconte avec pudeur mais sans rancune, les horreurs de ce traitement. Il leur décrit les sévices dont il garde encore des traces sur les mains, sur les jambes.

 

Une arrestation dont il ne comprend toujours pas la cause. « On a été arrêté, on sait toujours pas pourquoi » dit-il. Ni colère, ni résignation dans la voix. Une incompréhension sourde mais oppressante, tapie toujours dans un coin de la pensée depuis soixante-dix ans. « Déportés politiques, déportés politiques, on ne savait pas ce que ça voulait dire ! » Une raison qui les dépasse mais avec laquelle il faut vivre. Se reconstruire une identité quand on s’est caché pendant tant d’année, dans la solitude et la misère. Cruauté humaine ne s’explique parfois pas, ce qui la rend plus douloureuse encore. Un silence religieux, les jeunes l’écoutent pendant plus d’une heure et demie dans un calme absolu.

L’internement et l’extermination des tziganes est un drame du XXe siècle dont on parle peu. Pourtant la persécution ne date pas du siècle dernier. On comprend que c’est autant le conflit d’un peuple contre l’autre que le conflit entre un peuple et sa minorité. Les camps d’internements des tziganes sont apparus avant l’occupation et ont été mis sous scellés bien après la victoire des alliés. Il a fallu attendre juin 1946 pour fermer les derniers ! Tous les camps d’internement sont restés sous la coupe et l’autorité du gouvernement français.En France, il n’y a pas eu de camp d’extermination mais des camps d’internement pour les Tziganes et gens du voyage, des prisons où les détenus vivaient dans des baraquements sommaires, désoeuvrés, empêchés de rejoindre les forces combattantes de la Nation, mis à l’écart tels des parias. Mais comme le dit Raymond Gurême,« si on raconte tout ça, c’est pour que ça change ! Pour les nouvelles générations… ». Les mots apparaissent bien comme des pansements pour réconcilier les peuples. Raymond Gurême a aussi parlé de la vie quotidienne d’aujourd’hui, de la difficulté à faire entendre les droits des Gens du Voyage, des aires d’accueils décentes avec un accès à l’eau et l’électricité, le droit à l’alphabétisation, à l’accès au savoir… Les louveteaux-jeannettes ont découvert une culture très ancienne avec ses coutumes. Cette rencontre a rappelé à chacun que la rencontre et le dialogue, le véritable échange permet de faire face à ses propres idées reçues, l’importance d’avoir l’humilité de les remettre en cause à travers la rencontre. Après la rencontre, Jeanne, 10 ans, s’exclame : « on m’avait dit pleins de méchancetés sur eux, j’aurais pas dû les croire. »
Par les jeannettes Jeanne, Margot et leurs chefs Elise, Clémence Peuplade de Dourdan